La grande leçon de thé
Gastronomie
Il arrive parfois qu’un monsieur, trompeusement attiré là par sa femme, se décompose littéralement en comprenant que ce soir, la dégustation sera sans alcool. Car dans le bureau de Véronique Gallais, à l’arrière de sa boutique carougeoise Betjeman & Barton, les convives ne sirotent que du thé. Mais attention. Pas n’importe quel thé !
« Nous les préparons uniquement à l’eau de Volvic, parce que c’est celle qui lui donne le plus de rondeur, de gras, d’ampleur », explique Véronique Gallais. Pas snob, elle ajoute tout de suite : « Vous pouvez aussi faire du thé avec l’eau du robinet, mais il faut la filtrer, car le calcaire rend la boisson sèche. » Dans la petite pièce aux tons chaleureux, une dizaine de personnes sont confortablement assises autour d’une grande table. Devant elles, des petits plateaux laqués sur lesquels reposent des bols blancs, prêts à recueillir le délicieux breuvage. « Après certains thés, il est nécessaire de changer de bol. Sinon, les liquides suivants en sont imprégnés. »
Tombée dans une tasse
Elle a commencé à transmettre son savoir aux curieux en 2000, mais c’est en 1992 qu’elle est tombée dans une tasse de thé, en devenant vendeuse dans le magasin de Carouge. Deux ans plus tard, elle reprenait une affaire mal en point, sans rien savoir de ce monde fascinant, mais un goût certain pour les défis à relever, avec une curiosité et un enthousiasme qui semblent, vingt-trois ans plus tard, ne jamais lui avoir fait défaut. « J’ai goûté, lu des livres, rencontré des gens et appris de mes clients », raconte modestement cette Bretonne d’origine. On emprunte la route du thé en commençant par ses noirs représentants: Kalleboka de Ceylan. Milima du Kenya. Grand Szechwan de Chine. Dian Hong de Chine. « La couleur des thés tient à la manière dont la feuille est travaillée, et non à la plante.» On suit les pas des Anglais découvrant en Chine le fameux Camellia sinensis, que révèrent déjà les habitants de l’Empire du Milieu. Un nuage de lait plus tard, le voici sur les pentes de l’Himalaya, à Darjeeling. Puis, toujours en compagnie d’aventureux britanniques, on rencontre son jumeau sauvage Camellia assamica, qui, du nord de l’Inde, fit le voyage jusqu’au Sri Lanka, puis en Afrique. Entre deux gorgées, pour s’éclaircir les papilles ou se former la bouche, on grignote de délicieux gâteaux au pavot, une écrasée de tofu et courgettes, un morceau de gruyère. « L’accord thé-fromage étonne souvent les gens, mais je trouve qu’on arrive à de très beaux résultats», explique Véronique Gallais, qui n’en est pas à une expérimentation audacieuse près. Elle vient de tester les soirées thés-cigares, est intarissable sur les repas gastronomiques accompagnés de thés, et a même conjugué thé et cacao.
Un nuage de lait plus tard, le voici sur les pentes de l’Himalaya
Les langues se délient alors que le liquide – qui ne dépasse pourtant jamais les 80 degrés « afin de préserver son côté soyeux » – enivre gentiment les esprits. On ose de détonants parallèles – « Ça sent comme la ménagerie du cirque Knie», rit une femme élégante en humant un excellent Pu-Ehr, un précieux thé de garde. Aux noirs succèdent des verts et des bleu-verst. Puis, juste avant minuit, paraît le Graal. Nous trempons délicatement nos lèvres dans un Snow Buds First Flush de Chine, aussi blanc que son nom. Notre âme s’évapore dans un songe doux et éthéré. Divin.